6.3.17

130. Jean-Paul Gavard-Perret _ 'La petite'

Je sens cette marée qui monte, cette colère qui me renverse et fait de moi une femme qui serait ta mère. Mais tu es déjà né et c’est l’argent qui t’a fait naître : je n’y suis pour rien. Tu n’as même pas pris ma couleur mais celle de certains papillons du soir. Mais sans doute tu es ma faute, tu es beau et tu marches. Je te guette depuis toujours. Quelquefois tu es en avance, d’autres en retard et même parfois à l’heure. Mais jamais à la même heure. Tu es accompagné d’un chien : il a besoin de toi, je suis tranquille. Non je ne le suis pas, tu es ma douleur. Si je pouvais m’en départir je serais une autre femme et me serais-je révélé en homme.

Il est des extases qu’on ne saurait feindre. Mon mari n’était au courant de rien. Quand je lui ai tout appris il m’a dit « Je comprends ». Mais il était songeur. Mais on a raison de dire qu’il ne faut jamais mentir. Il m’a dit «Viens, je vais te montrer quelque chose ». Il a ouvert la porte de notre chambre à coucher. Sur le lit nos deux pyjamas étaient préparés. Sous le Christ en croix il m’a fécondée plusieurs fois afin de porter ses graines mâles en ma fleur femelle. Mon destin était tout tracé. Même si ailleurs un autre couple m’attendait.

Lors de ma prime défloraison l’ogre déclara que seul coûte le premier pas. J’ai alors pensé que c’était amusant d’être une femme, je me suis laissée faire même si à force cela me rendit songeuse. Mais avec des mots je finissais par arranger les choses pour qu’il fasse ses affaires sans que j’aie trop à y penser.

Parfois je me rengorgeais mais il montait sur moi comme un poulpe et se moquait pas mal de mon emploi du temps. Parfois j’étais sauvée parce qu’on sonnait à la porte. Je disais « C’est ma mère, nous le ferons une autre fois ». Il avait beau me rétorquer qu’il n’était pas un moine, ma mère était là et resterait dîner.

Mes cheveux sentent le réglisse ou la vanille (selon les saisons). Lorsqu’il les suce ils fondent. Mais ils repoussent vite. Le voilà pris entre sa gourmandise et ma vie.

Il me demande de fermer la lumière afin que le prêtre ne puisse nous regarder. Nous entrâmes dans un silence recueilli. Il y eut bien sûr quelques soupirs et le lit se mit à grincer. Je crus entendre le prêtre marmonner : « Elle ne crie même pas maman ! ». Brisés nous nous endormîmes. Au matin il y avait personne. Juste un livre de messe sur le fauteuil près du lit.

Connaissant ses goûts pour la réglisse il m’est venu l’idée de me peindre la poitrine en noir. « Regarde mes seins » lui dis-je, il baisse la tête. Ravi le voilà qui se jette sur moi pour me téter comme un veau.

On se retrouvait toujours au même endroit. Les branches se mettaient à bouger. Il se précipitait et écartait mes jambes en éclatant de rire. « Ne te moque pas de moi où je referme mon tailleur blanc ». Il semblait gêné de s’être comporté ainsi. Je l’encourageai : « Regarde moi, je n’ai rien à cacher ». J’étais déjà toute humide. On se levait d’un bond pour rejoindre le presbytère. La porte s’ouvrait. C’était toujours Monsieur le Curé : « Je vous laisse, je vais au cinéma ». Parfois souffrant de rhumatismes il restait dans son fauteuil. C’était chaque fois une belle histoire. Comme si notre religion devenait contagieuse. Pour lui pour moi comme pour le prélat. Il avait passé sa vie à douter de Dieu mais un soir il m’avoua « Je vous trouve là et enfin j’y crois ». Il n’eut plus à chercher. Nous partîmes enchantés.

Ce n’était pas banal : il était Dieu le Père et risquait la peine capitale. Il avait beau affirmer « C’est elle qui m’a tenté ». Je me défendis pied à pied. Et quand je mis ma tête sur son cœur il ne battait plus. Ainsi mourut le père. Ou ma mère. À ce point je ne me souviens plus.

Ce qu’on ne peut éviter chez moi c’est la folie. Il n’y a jamais eu en moi de frontière entre ce qu’elle était et ce qu’elle n’était pas. Je suis aussi brebis que girafe. Ma mère m’invita à manger avec son troupeau puis m’initia à la fornication transformant le père en taureau. Mes sœurs pleurèrent. Ma mère vendit le taureau au voisin pour s’acheter une 404 pour promener du bedeau qui ne se séparait avant elle jamais de son missel. Le curé resta seul dans le presbytère dont il fit sa crèche.

Quoique Junon volage elle ne cessait d’affirmer « La reine c’est moi ». De ses voyages elle finit par ramener un époux tout neuf. Les gens d’arme voulurent l’arrêter, il les transforma en porcs. Puis transforma le coq en cuivre du clocher de clocher en volatile. Il disparut avec lui comme dans un texte de Sophie Calle.

Beaucoup voudront savoir où j’en suis aujourd’hui mais vous serez déçu en apprenant que j’ignore mon genre. Consolez-vous : ce n’est que de justesse. C’est dans une pièce où s’ouvrent une grande verrière et une porte-fenêtre et avec un crayon Caran d’Ache à la mine friable que je me rappelle à votre mémoire avec un souci du détachement. J’éprouve toutefois un vrai plaisir de sybarite à me laisser troubler des jours durant par vos bien mystérieux messages.

Néanmoins les événements qui me marquent passent assez vite dans le brouillard. Et qu’on m’appelle Jean ou La Jeanne ne me préoccupe pas. J’ai assez d’imagination pour m’être infidèle dans la débandage.

Salope ou salopiaud qu’importe : ne me regardez pas avec des yeux de poisson frit. Nous sommes maintenant entre nous. Qu’on m'étripe ou me pende cela ne me regarde plus. Toute intimité commence par une vétille. Qu’importe si la groseille est plus légère que le cassis. J’attends son point noir. Voire même je m’en réjouis comme le spectre d’un déchaînement populaire.

Postface

Écrire sert à consoler de son inutilité. Il suffit de s’accouder puis de couler dans ses exercices d’imbécillité. Coudre l’endroit à l’envers comme une chemise qu’on repasse jusqu’à ses poches secrètes. On regarde la vie passer comme les vaches un train. Une page engendre une autre page, elle sert à éponger l’encre de la précédente. Ainsi font et défont nos marionnettes – que le soleil hésite ou que le café se renverse. Nous sommes tous des Jésus tombés de leur croix : mais il n’y a plus de fidèles pour transporter leur cadavre. Tout demeure en l’état. L’éternité se transforme en instant. C’est un spectacle qui ne cesse de se détruire en tant que spectacle. Il appelle au rideau. On grimpe jusqu’en haut. Au fond des cintres il habille l’espoir. Ses pans voient des étoiles dans le noir, c’est le seul horizon à ne pas s’éloigner lorsqu’on le touche. Fermeture en fondu sur la lumière. On le retient encore pour voir dans l’échancrure un visage inconnu que Wahrol aurait pu filmer comme il filma des blés en herbe au milieu des livres dont les titres sont perdus.


Jean-Paul Gavard-Perret
fr.wikipedia.org/wiki/jean-paul_gavard-perret

11.2.17

123. Marc-Henri Arfeux _ 'Voyages du voyage'


Je n’ai jamais fait part collectivement de mes lectures dans les colonnes d’un site social, jugeant exaspérante et puérile la surprenante manie de certains internautes à nous avertir solennellement qu’ils ont « terminé » Madame Bovary ou quelque best-seller sans conséquence.

Si, pour une fois, je déroge à ma règle implicite, c’est afin d’évoquer et partager avec eux ceux de mes visiteurs qui s’y intéresseront l’histoire d’une découverte à double détente qui a trouvé hier après-midi un très inattendu rebondissement, un peu de plus vingt-et-un ans après sa première manifestation.

Au cours de l’hiver 1992-1993, vraisemblablement en janvier ou, au plus tard en février, un samedi après-midi d’un constant gris crépusculaire, j’avais accompagné ma femme dans une flânerie de magasin en magasin, selon un rite que nous pratiquions volontiers à l’époque. Le cœur d’un mortel changeant hélas aussi vite que la forme d’une ville, nous avons opté depuis pour d’autres types de promenades urbaines, mais en ce temps, nous aimions particulièrement faire la visite de ces mondes complets que sont les boutiques, chacune selon son genre propre. Chemin faisant nous rencontrions parfois notre ami Martin Dressler qui avait la même passion que nous pour les trésors infinis du commerce, les peintures idiotes, les dessus de portes, enseignes étranges et autres curiosités qui frappent l’esprit du marcheur, pourvu qu’il soit attentif à leurs univers sans cesse renouvelés au fil des pas et des jours. Fasciné par l’architecture et les hôtels, Martin nous invitait volontiers à prendre un cocktail en sa compagnie, une fois notre expédition terminée, dans l’un de ses établissements favoris. Mais c’est une autre histoire.

Cette après-midi-là, entrant dans une librairie, j’avais trouvé sur la table des nouveautés, sous la forme d’un discret petit livre crème, une brève nouvelle de Georges Perec qui m’était inconnue. Son titre seul, Le Voyage d’Hiver, outre sa résonance schubertienne, éveillait tout un monde reclus de forêts sombres et de silences postés sur des chemins déserts, particulièrement en cette journée grise brossée de froid. Peut-être cette nouvelle est-elle connue de quelques-uns des visiteurs qui liront mon récit. Pour moi, qui n’avait jamais eu entre les mains le numéro spécial Georges Perec du Magazine Littéraire qui, pour la première fois, en avait révélé le contenu dix ans plus tôt, elle n’était rien que la soudaine lisière énigmatique d’un pur pays de la blancheur où j’aspirais à m’enfoncer selon les traces déposées par l’auteur au fil de quelques pages.


C’est ainsi que, pressé d’entrer dans ce léger domaine de la fascination, je commençai d’en lire l’étrange récit chez un chausseur où mon épouse, fidèle à son cérémonial, ne se contentait pas d’essayer les modèles que lui présentait la vendeuse, faisant avec circonspection de lents allers et retours dans le magasin, l’esprit tendu et concentré sur d’invisibles points de sensation afin de décider quelle paire serait conforme à son attente. Assis dans un fauteuil, je me plongeai dans l’aventure de Vincent Degraël, anti-héros bibliophile, et de sa quête hallucinée du mystérieux Hugo Vernier. Autour de moi, clientes et vendeuses devenues floues n’étaient plus que des figurantes lointaines aux mouvements doux et insonores, tandis que mon épouse hypnotisée continuait de parcourir les étendues imaginaires de l’essayage.

À cette époque, j’ai souvent lu ainsi, au beau hasard des boutiques où nous entrions. Loin de me déranger, la foule, parfois considérable si nous étions dans un grand magasin, favorisait mon isolement. Je parvenais toujours à trouver un fauteuil spacieux et confortable dont je faisais mon havre de lecture, tandis que mon épouse arpentait le dédale des rayonnages dans le fin cliquètement des cintres métalliques et la respiration légère des chemisiers, vestes, et robes, semblable à celle de la tapisserie d’Orlando. Les clientes somnambules que je pouvais apercevoir du coin de l’œil, occupées à palper les étoffes et lire les étiquettes avec la même concentration que le Professeur Lidenbrock représenté par Paul Delvaux dans des gares et des villes parcourues de promeneuses dénudées, semblaient autant de personnages clandestinement sortis de dizaines de romans, recueils de poèmes et pièces de théâtre, afin de déambuler incognito dans ces allées à la recherche d’un secret qu’elles s’efforçaient de lire en filigrane dans les tissus qu’elles maniaient. On n’entendait qu’un bruissement continu aux mille variations, le pétillement feutré de haut talons parcourant les allées, des murmures, des rires retenus et quelquefois des formules solennellement déclamées qui semblaient les oracles et invocations d’une religion inconnue.

Je me souviens de ma lecture du Voyeur au rayon lingerie d’un de ces grands magasins où, étant donné l’auteur et le roman qui m’absorbaient à l’époque, il m’avait paru adéquat de m’installer. Assis entre deux roseraies multicolores de soutien-gorges et de culottes, j’étais plongé dans les entrelacs du parcours ajouré de Matthias, tandis que deux vendeuses s’efforçaient, non sans difficultés, d’enfiler et dérouler un collant noir autour des jambes d’un mannequin. Cette vaine tentative ajoutait non seulement un écho mais une sorte de commentaire imagé particulièrement amusant du travail que le lecteur de Robbe-Grillet doit accomplir, déshabillant et rhabillant sans cesse le récit de nouvelles bandelettes de sens pour en revenir indéfiniment à la même statue de commandeur féminin aux yeux parfaitement vides.


Il m’est souvent arrivé de transporter au hasard les étapes successives d’un livre d’une boutique l’autre et de trouver en chacune un paysage nouveau qui l’éclairait de son contraste ou sa coïncidence. Quelque chose de la lecture faîte y demeure, comme les milliers d’empreintes invisibles tapissant les meubles et les murs d’une maison. On ne sait pas qu’en entrant dans une pièce, on les retrouve, menue monnaie spectrale d’heures innombrables. Mais de livres, dévorés ou savourés avec lenteur, l’image sensible revient parfois de loin croiser un jour nouveau, tandis que l’on s’approche sans y songer d’une devanture ou d’un rayon de chemisettes d’été, ou de casiers contenant des chaussettes en fil d’Écosse.

Les nuances des saisons, elles aussi, éveillent de soudains désirs de lecture : telle tonalité particulière devient indispensable à une journée d’hiver où, descendant une rue en pente bordée de murs derrière lesquels des arbres enneigés veillent en silence, on voudrait s’installer dans un petit café à l’ancienne, un volume des enquêtes de Maigret entre les mains, juste derrière une vitre à rideau vaporeux, donnant sur l’angle de deux rues pavées également vides. L’après-midi se faufilerait jusque au pelage d’un crépuscule précoce, dans le seul halètement périodique du percolateur, l’éclosion progressive des lampes et le furtif passage de quelques silhouettes à contre blanc. Il ne manquerait qu’un poêle en fonte et son œil de cyclope, la traversée, contemplée par les vitres, d’un livreur de charbon, luisant de prunelles de chat dans le demi brouillard, ou celle d’une jeune femme en manteau de fourrure comme en portaient les élégantes en ces ténébreuses années cinquante, hivers sibériens et aux crimes feutrés derrière les lourdes tentures de fenêtres grises. Comme des Esseintes revenant satisfait d’un voyage à Londres pour avoir passé la soirée au café anglais d’une gare bien parisienne, je serais rentré comblé de cette immobile excursion dans le monde de Maigret, marchant joyeusement dans la neige fin de siècle, le mince volume aux pages jaunâtres enfoncé dans ma poche.

Mais hier, ou plus exactement avant-hier déjà, le samedi 9 août 2014, entre deux houles d’averses orageuses Le Voyage d’Hiver du fantomal début d’année 1993 a soudain rejailli des limbes. Certes, de temps en temps, le petit livre crème remontait dans ma bibliothèque au hasard de rangement ou de la quête d’un autre livre, pour disparaître à nouveau, si bien qu’au cas où me serait venue l’envie de le relire, j’aurais été bien en peine de le localiser. Bien des livres, chez moi, voyagent silencieusement de cette manière, ce qui rend toujours leur recherche hasardeuse, quelque-fois pénible et vaine, bien que leur poursuite donne également lieu à l’exhumation d’autres ouvrages oubliés dont je relis alors quelques pages, debout devant les rayons obstinés à me refuser le volume désiré.

Avant-hier donc, devant offrir un livre à des amis qui nous avaient invités à prendre chez eux l’apéritif, je me trouvai je ne sais plus comment à la hauteur d’un rayonnage de librairie où figuraient les œuvres de Perec. Il est d’ailleurs étrange qu’à deux jours de distance, je ne parvienne pas à me rappeler comment et pourquoi je me suis avancé vers ce rayon. Je me souviens seulement que mon intention n’était nullement d’offrir un livre de Georges Perec – mais voici qu’en rédigeant ces lignes, me revient la raison, je devrais dire la cause de ma découverte.
Maintenant, je me souviens.


Faute de trouver les livres auxquels j’avais songé en premier lieu, en entrant dans cette librairie généraliste, j’avais fini par songer à un éventuel André Pieyre de Mandiargues, sans être certain que ce choix conviendrait à nos amis. Mais de Mandiargues, pas la moindre trace. La vendeuse responsable de la littérature française m’apprit qu’on ne pouvait dorénavant se procurer, au moins les œuvres de l’auteur du Musée Noir qu’en les commandant, le nombre des lecteurs potentiels de Mandiargues ayant si sensiblement reflué, comme la mer à marée basse, qu’il était inutile d’exposer des ouvrages que personne n’achèterait et qui seraient par conséquent voués à se détériorer silencieusement dans la solitude peuplée des rayonnages, devenant rapidement invendables aux fantômes qui de toute façon ne les liraient pas.

C’est ainsi que mon œil s’est porté par hasard sur le rayon consacré à Georges Perec – pour combien de temps encore, si le curseur des lectures contemporaines continue de se déplacer dans ce nouveau siècle amnésique, effaçant au fur et à mesure les auteurs qui enchantèrent de fervents lecteurs entre 1943 et l’an 2000 ? – pour découvrir un vaste et haut volume blanc intitulé : Le Voyage d’hiver et ses suites, publié en octobre 2013, dont je n’avais jamais soupçonné l’existence. Quelle n’était pas ma surprise en parcourant maintenant, chose qu’en principe je ne fais jamais, la quatrième de couverture de cet étrange ouvrage presque aussi invraisemblable que les livres utopiques de la bibliothèque de Morphée, dans le merveilleux et si peu connu Royaume de Morphée de Steven Millhauser, lequel vient d’ailleurs de fêter ses soixante-et-onze ans le 3 août dernier.

Avant de poursuivre, il est peut-être utile de signaler, même brièvement, quelques exemples du contenu de cette stupéfiante bibliothèque, si mon lecteur indulgent m’accorde cette parenthèse à la Jean-Paul Richter, en échange de quoi je lui fais la promesse de ne pas m’abuser de sa patience en m’abandonnant comme Jean-Paul à la tentation des phrases démesurément étendues autour de leur sujet principal et du récit lui-même où elles s’insèrent, au point de mériter le nom de périphrases plutôt que de phrases au sens ordinaire du terme, sachant d’ailleurs que ni les sinuosités végétales des formulations proustiennes, ni les vibrations d’une subtilité d’antennes explorant des tonalités spectrales qui caractérisent le dernier Henry James, comme par exemple dans La Tour d’ivoire, ou Le Sens du passé, ne s’apparentent aux périodes oratoires chères à Jean-Paul, lorsque, apostrophant son lecteur, il se livre à quelque exténuante et savoureuse dissertation où, force est de constater que s’égare quelquefois la virtuosité de son génie espiègle.

Bref, la bibliothèque de Morphée, explorée par le héros et narrateur Carl Hausman, renferme d’innombrables sections dont certaines sont aussi captivantes qu’inattendues. Ainsi y trouve-t-on les œuvres de David Copperfield ou de Gustav Aschenbach, dans la catégorie des livres écrits par des personnages, la version intégrale de Bouvard et Pécuchet ou celle du Mystère d’Edwin Drood, dans celle des œuvres inachevées sur terre, mais complètes au royaume de Morphée, ou encore les soixante-douze pièces perdues et les cent pièces perdues de Sophocle, dans celle des œuvres égarées, sans parler de tous les livre projetés qui n’ont jamais été écrits et d’autres ouvrages infiniment étranges dont je ne dirai rien pour ne pas épuiser par anticipation le plaisir du lecteur que tenterait l’aventure de suivre Carl Hausman dans son fascinant voyage. L’existence réelle de ces joyaux fictifs m’avait moi-même autant fasciné que l’aurait la découverte d’un filon d’orichalque ou d’un texte préhistorique gravé au fond le plus lointain d’une grotte. Rares sont les livres qui savent donner un tel bonheur à ceux qui s’y plongent, comme si leur substance, une fois explorée, continuait à l’infini de produire les cristaux imaginaires de leur énigme poétique.


Mais, pour en revenir au Voyage d’hiver et ses suites, déniché il y a deux jours, qu’elle n’avait pas été ma surprise de retrouver le mince volume originel devenu le fort livre de 427 pages dont une postface de Jacques Roubaud, que je tenais maintenant devant mes yeux. La quatrième de couverture offrait l’explication de cette métamorphose. Quelques années après la parution de la micro nouvelle de Georges Perec, Roubaud « avait éprouvé le besoin d’apporter quelques savants et utiles compléments au récit perecquien, (…) bientôt suivi en cela par Hervé Le Tellier, puis, au fil des années par un nombre croissant d’Oulipiens, chacun s’employant à tirer l’histoire (…) dans une direction inattendue. Ainsi s’est constitué, autour du texte de départ, une sorte de « roman collectif » d’un genre tout à fait nouveau. »

Quoique peu fasciné, je l’avoue, par les techniques de l’Oulipo, sauf en quelques cas majeurs où, se dépassant eux-mêmes ils ont donné naissance à des œuvres majeures, calme blocs luminescents qui ne trouvaient en ces jeux formels que les moules où couler leur substance ; Le Voyage d’hiver m’ayant enchanté en 1993, et, de même que bien des lecteurs, laissé orphelin de son énigme, comme si son achèvement avait paradoxalement laissé sa fin en suspens ; le principe de ses suites ne pouvait manquer de me fasciner à son tour si bien que, sans hésitation, avant même d’avoir enfin trouvé ce que j’étais venu chercher dans cette librairie qui a l’avantage d’être à cinq minutes de chez moi, je quittais le rayon de la lettre « P », le parallélépipède neigeux de ce roman non euclidien entre les mains.

Il s’agissait à présent de trouver un livre à la fois digne des amis auxquels je l’offrirais, sans cependant constituer pour eux un tel obstacle qu’il rejoindrait la masse des volumes abandonnés par ceux qu’ils n’ont pas su séduire et dans laquelle, au milieu d’une matière amorphe, sommeillent aussi de purs diamants inaperçus. Rien n’est plus difficile qu’offrir un livre à des personnes que l’on connaît suffisamment pour deviner en elles un véritable goût, mais pas assez pour être sûr de tomber juste. En outre, il faut veiller à ce que rien du titre et du récit fasse allusion à ce qu’on sait des gens auxquels on désire faire plaisir. De manière générale, sont à proscrire les romans d’adultère si le cadeau doit être fait à un couple qui bat de l’aile à cause d’une double vie ou d’aspirations insatisfaites, les récits comprenant un décès ou seulement un deuil si le destinataire vient de perdre un proche, les descentes aux enfers dans le cas des mélancoliques, l’œuvre de Balzac à ceux qui ne jurent que par la République ou celle de Victor Hugo aux nostalgiques de l’Ancien Régime. Ô saisons, ô in folios ! Nulle âme est sans petites manies !

Mais, les livres changeant moins vite que le cœur d’un mortel, il n’est pas impossible qu’une fois oublié le suicide par pendaison d’un vieil oncle, l’idée de corde ne finisse par séduire son neveu, pourvu qu’elle serve un autre but, comme de ficeler un ennemi juré dans un roman d’aventure, ou se courir plus près de la bordure intérieure d’un virage, dans un roman sportif tel que l’excellent Courir de Jean Echenoz que je n’ai pas lu par manque d’enthousiasme pour son héros et son sujet.

Reste, pour demeurer aussi sérieux que j’ai prétendu l’être depuis les premières lignes de ce petit récrit, que le choix d’un livre pour autrui, à l’exception de nos intimes, demeure toujours, au moins pour moi, une sorte de défi dans la mesure où le principe guidant ma sélection est de n’offrir que des ouvrages qui me sont chers. Il m’est arrivé quelquefois de renoncer à un auteur ou un roman dont je craignais absurdement que le destinataire de mon cadeau ne soit pas digne. Rien n’est pire que d’offrir un livre aimé, dont le sujet et l’écriture laissent froids ceux qui étaient censés en être émerveillés, même si l’on a rien avoué de ce qui le rend à nos yeux si jalousement précieux. Dans une telle situation, on se trouve pris en pince entre nos sentiments et le déni de celui que notre trésor a laissé indifférent, comme le serait un collégien que l’on accuse injustement d’un délit, le menaçant de sanctions graves, mais dont l’honneur et la fidélité à l’amitié lui interdisent de dénoncer le vrai coupable. Il m’est même arrivé une fois dans ma vie, constatant qu’un livre auquel je tiens particulièrement avait fait l’objet d’un dédain outrecuidant de profiter d’une visite chez ceux qui l’avaient mis au rebut, pour le reprendre à leur insu afin de l’offrir à un lecteur plus méritant.


Dans la situation présente, il ne pouvait être question de courir un tel risque, sans pour autant renoncer à mon principe intime. Tout le problème tenait à la présence des auteurs dont je cherchais une œuvre. De Millhauser : rien. De Bohumil Hrabal : pas l’ombre d’un cheveu. Requiem de Tabucchi : porté disparu. Sir Edmund Orme n’était plus reparu à sa place légitime depuis des mois, de même que Les Mystères de Charlieu sur Bar et plusieurs autres titres restaient inconnus, quand ce n’étaient pas leurs auteurs remplacés par des cohortes d’imposteurs qui profitaient d’une similitude de lettre pour s’installer nonchalamment dans les rayons. Je commençais à désespérer quand, ayant glissé le regard le long d’une interminable rangée de Paul Auster, l’idée me vint de me porter à la lettre « H » de la littérature américaine. Les yeux fermés, j’arrivai avec crainte à l’endroit précis où, théoriquement, devait se trouver la merveille qui venait de me revenir à l’esprit. J’ouvris les paupières : L’Envoûtement de Lily Dhal apparut devant moi, avec, en couverture, l’image de la jeune femme penchée dans un étrange clair obscur à la Georges de La Tour, les mains posées à plat contre une cloison, de part et d’autre du miroir ou œil de bœuf dont provient l’aura d’ambre qui fascine l’inconnue tout en révélant son profil très pur et concentré, semblable à celui d’une orante fixant l’autre côté de l’invisible, et digne d’un récit lunaire de Steven Millhauser.


J’avais enfin trouvé, et c’est à présent d’elle que je voudrais parler, trois jours après avoir quitté la librairie avec son envoûtement, Le Voyage d’hiver et ses suites et un troisième livre destiné à mon épouse.

Vingt minutes plus tard, assis dans le métro avec ma femme, le livre que j’allais offrir à nos amis, posé sur mes genoux, je songeais à son héroïne. De la mystérieuse image de sa couverture, je ne pouvais rien voir sous le papier cadeau qui l’enveloppait, mais je n’en avais nul besoin. Le fin visage plongeant les yeux à l’intérieur du disque ambré qui l’éclairait, avait surgi de ma mémoire et se superposait, immobile et captivant, à la vitesse de la rame dans laquelle nous avions pris place. Il existait, je le savais, une autre Lily Dhal. Elle se nommait Lénore, et plus exactement, Lénore Landorova, celle même que l’on rencontre dans l’introuvable Femme sans Chambre de Gérard Mahn. Mais avant d’être un des principaux personnages de ce curieux roman, Lénore avait été une personne bien réelle dont toute l’enfance s’était passée à Nice. Ce n’est pourtant pas dans cette ville que s’est produit l’événement singulier qu’elle m’a confié l’an passé, tandis que nous prenions l’apéritif devant la mer, évoquant les souvenirs les plus marquants de nos années profondes.

La mère de Lénore comptait parmi ses amis les plus proches le peintre Jacques Hélios. L’année de ses dix ans, Lénore avait été malade et n’était pas allée en classe pendant de nombreux mois. Jacques Hélios, qui était aussi le parrain de la fillette, avait invité celles qu’on appellerait plus tard à Nice « les Dames Landorova », à séjourner chez lui, afin que le bon air de la Corrèze favorise la convalescence de Lénore, idée qui peut surprendre pour qui connaît la douceur des automnes et des hivers de la Riviera.

Toujours est-il que Nadia Landorova et sa fille partirent aussitôt pour Collonges où elles arrivèrent par une somptueuse après-midi d’été indien dont les toiles et tapisseries de Jacques Hélios semblaient des expressions magiques. Le Manoir de Labrunie, avait au soleil de fin d’après-midi une rougeur de feu que prolongeait celle des arbres de son parc. Toutes ses fenêtres, illuminées par la chaude lumière d’octobre, renvoyaient en reflet des fragments du paysage, comme autant de blasons sylvestres que Lénore s’amusait à déchiffrer pendant qu’on sortait les bagages de la voiture.

On ne s’ennuierait pas ! Il y avait là toute une joyeuse compagnie : Bona et André Pieyre de Mandiargues, Dominique Brivin, dit Dom le Gaillard car il savait jongler avec des poids de fonte, Carmen Blin, un auteur franco-britannique de romans policiers que personne en connaissait, mais qui se montra aussi charmant que discret, et une ou deux autres personnes dont Lénore n’a pas conservé le souvenir. L’enfant occupait une vaste chambre donnant sur l’arrière du parc, son lieu préféré, car il semblait hors d’atteinte, pays de fées et de brouillards où un étang rêvait entre les hêtres et les érables. Il était alimenté par une fontaine en pierre surmontée d’une nymphe endormie que la tradition du pays appelait « La Belle Morte ». Lénore se souvenait encore de la première lumière du jour sur le visage attentif de cette nymphe qui paraissait sortir de son sommeil et contempler sa chambre à travers vitres et rideaux. De son lit, la fillette pouvait également contempler une tapisserie de son parrain, intitulée L’Herbe des nuits. Elle représentait une vue du parc. De minces graminées noires constellées de gouttes de rosée luisantes dessinaient sous les étoiles des figures d’animaux fabuleux, tout un zodiaque imaginaire qui venait peupler ses rêves, l’invitant à parcourir le merveilleux domaine de la nymphe endormie. Sur un autre pan de mur, un de ces miroirs qu’on appelle sorcières contenait un monde flottant et flou qui, loin d’effrayer, reposait l’œil pendant les heures du jour où l’enfant reposait dans le silence, selon les nécessités de sa convalescence.

Pendant la fin d’octobre qui fut longtemps très belle et chaude, on fit quelques excursions, notamment à Vif Argent dont Lénore aimait faire le tour du lac aux sombres eaux tapissées de feuilles qui semblaient des gouttes d’or et de rubis ; mais la mauvaise saison venant, on ne bougea plus guère du Manoir qui ‘enfonça dans un long hivernage. La plupart des amis partirent les uns après les autres, et la société se résuma bientôt aux seuls Simone et Jacques Hélios, à l’exception de Dominique Brivin qui, voisin de Collonges, venait régulièrement avec sa femme et leur chien, un grand escogriffe mi-Labrador, mi-Épagneul, qui répondait au nom de Milou Noir et qu’il fallait surveiller de près car il avait une fâcheuse tendance à voler les rôtis.

Cette année-là il se mit à neiger continûment dès fin novembre. Ce furent alors des jours de lenteur, propices à la lecture, à la conversation, aux jeux de société, à la rêverie devant les vitres et leur paysage immobile à force d’infini. Dès quatre heures, la nuit montait insidieusement du sol, soulevait une vapeur blanche qui absorbait le parc, puis s’effaçait elle-même dans les ténèbres vaguement phosphorescentes. Lénore remontait dans sa chambre. Jacques Hélios allait à son atelier, laissant Simone et Nadia veiller seules dans le salon. Au cours de cet hiver il peignit plusieurs toiles représentant des oiseaux fabuleux qui étaient également des féeries de givre et des constellations. Dans la journée, Lénore était autorisée à se tenir auprès de lui et suivre sans un mot la progression des toiles, très lente et minutieuse, donnant le sentiment que Jacques Hélios les brodait point par point plutôt qu’il les peignait. Ces oiseaux fantastiques la fascinaient. Ils lui semblaient des messagers dont la révélation serait complète et claire le jour où son parrain poserait la dernière touche. Pour le moment, ils ne se dévoilaient que partiellement, comme au travers d’un brouillard flou, côte à côte, chacun dans la fenêtre du tableau qui l’enchâssait.

Lorsque le temps le permettait, les jours où, brusquement, le ciel se relevait et se fixait en éclats d’émail, on allait marcher dans le parc où Lénore s’émerveillait de découvrir sur la neige quantité de traces subtiles. Elles évoquaient des portées musicales dont l’enfant s’efforçait de déchiffrer et d’écouter intérieurement les mélodies environnées de silence. Parfois, quand le soleil donnait sur les cimes des arbres ou que passait très haut un fil de bise, on entendait de tout côté un délicat cliquetis de cristal qui donnait l’impression de circuler dans une forêt de lustres vénitiens effleurés par un songe.

Arriva février, qui fut particulièrement froid et splendide. Les nuits flamboyaient d’étoiles et le gel mettait dans l’espace une imperceptible vibration dont le moindre toucher éveillait aussitôt les ciselures.

Le lac de Vif-Argent qu’on alla voir était d’un blanc de martre éblouissant. De fines irisations jouaient à sa surface, créant des illusions de fleurs où circulaient des chats. Déjà, les jours étaient plus dilatés, comme des pupilles fascinées.


Une nuit, Lénore s’éveilla soudain. Une clarté d’ambre montait de la sorcière, formant une impalpable aura. Elle se leva, s’avança, toucha la surface du miroir où son visage était changé en nuée mouvante, comme si l’éclairait une chandelle. Cela venait à la fois de l’intérieur du miroir et de la cloison contre laquelle il reposait. Elle le saisit avec d’infinies précautions et le retira. Une ouverture apparut, où se glissait en effet la clarté vivante. Lénore s’y glissa et se trouva dans une très vaste bibliothèque qu’elle ne connaissait pas. Elle était certes loin d’avoir exploré toutes les pièces du Manoir. Elle parcourut de longs rayons cherchant, la source lumineuse qui ondulait sur le dos des livres, passait sur elle une main immatérielle, traversait des zones de ténèbres, effleurait les murs et s’éloignait derrière elle en direction de sa chambre. Enfin, elle la trouva. C’était une simple lampe posée sur une table auprès d’un livre. Sur la couverture blanche, elle lut : Le Voyage d’hiver, mais aucun nom d’auteur. Elle saisit l’ouvrage, l’ouvrit et lut passionnément les premiers mots :
Filigrane du brouillard.
La neige en ouvre le jardin.
Voici cette heure,
Au très lointain désert ;
Et la planète est là, qui veille avec l’attente,
Et montre le chemin, dans la pâleur…

Le lendemain, très tôt, lorsque elle reprit conscience dans son lit, elle ne sut pas comment elle était revenue. La sorcière, à nouveau grise et neutre, avait repris sa place. Lénore se leva, vint à la fenêtre qu’elle ouvrit. Dans un arbre proche, le premier oiseau de l’année jetait régulièrement sur le vide la fraîcheur luisante de son appel. Dans l’étendue de l’avant jour, se révélait le grain pur d’une étoile, et le monde encore incertain, débarrassé des fantasmagories, se rassemblait graduellement, tel qu’en lui-même, à jamais beau en sa simplicité d’énigme nue.

Lyon, 10-14 Août 2014, 13h54



Marc-Henri Arfeux
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